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BÉNÉZECH, Michel. "Folie et créativité chez Pierre Molinier", Revue française de psychiatrie et de psychologie médicale, Décembre 2003, Tome VII, No. 71, pp. 41-44 [Extrait] |
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ART-THÉRAPIE OU ART NU ?
Il n'est pas douteux que les préoccupations intimes, la fantasmatique sexuelle, les positions existentielles et culturelles de P Molinier se retrouvent dans sa production d'artiste qui paraît en être issue directement, son mode de vie, sa mort et son oeuvre étant indissociables. C'était d'ailleurs l'avis des experts Labuchelle et Bargues qui marquent dans leur rapport : «L'homme est de la catégorie du déséquilibré supérieur, puisqu'il exprime, sous une forme artistique, son angoisse et son manque d'harmonie.» L'on sait que nombre de novateurs subliment leurs conflits émotionnels et pulsionnels, l'art (en tant qu'auto-thérapie) étant justement l'art de l'esquive pour mieux évoquer une vérité douloureuse fuyant devant des formulations rationnelles.
En tant que pervers, Molinier n'a pas voulu ou n'a pas pu, dans son langage d'expression et de création plastiques, se tenir à distance critique de lui-même, déplacer et masquer sa problématique, sa souffrance profonde, son mal de vivre sur le support pictural. A l'opposé, il a préféré discourir directement de ses désordres, de ses bizarreries tant avec ses interlocuteurs que dans les représentations de son art. Avait-il totalement conscience du jeu malin de son comportement hors norme et de son inventivité esthétique ? Nous ne saurions le dire et, a posteriori, le clinicien ne peut que constater que Molinier a vécu conformément à ses désirs, ses intérêts et son imaginaire d'homme rebelle et d'artiste maudit.
Quoi qu'il en soit, Molinier paraît présenter des traits de personnalité prédisposant à la créativité. Son exaltation, son audace, son esprit de révolte, son individualisme, son originalité, son aptitude à jouer, sa vulnérabilité, son hypersensibilité aux autres, son investissement narcissique massif avec perturbations des relations inter-personnelles constituent un ensemble de facteurs psychologiques fréquemment retrouvé chez les hommes illustres, les génies, les visionnaires et les artistes (Génie, créativité et troubles de l'humeur). Faut-il y ajouter qu'il était né au printemps comme Vinci, Shakespeare, Andersen, Chaplin, Michel-Ange, Van Gogh, Einstein ?
LE MESSAGE DU PEINTRE
Jouisseur pervers sans culpabilité vécue, P Molinier ne se résume pas totalement à ses entreprises singulières, à ses travers sexuels et caractériels. En sa faveur, prenons acte qu'il n'a jamais été pédophile, violeur, voleur, et qu'il a exercé durablement sa profession de peintre en bâtiment. S'il est difficile de lire dans les pensées secrètes, les rêves et l'âme du peintre, ce dernier nous a cependant laissé suffisamment de témoignages oraux et de documents iconographiques pour oser une simple interprétation psychodynamique de son oeuvre tardive : Molinier a tenté obstinément, à partir de la cinquantaine, d'échapper à la décrépitude et à la mort. Utilisant ses pulsions et ses représentation esthétiques de nature androgyne, simulant sa fin de façon spectaculaire, jusqu'à l'ultime mise en scène de son suicide, il a voulu exorciser sa peur de mourir et tromper le destin dans l'espoir fou d'obtenir l'immortalité. Sa quête artistique, un processus d'auto-engendrement narcissique, n'est que l'expression publique de cette mystification vouée immanquablement à l'échec.
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Michel Bénézech
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