Il est des images qui me donnent, d'instinct, envie d'écrire. Une photo du pont Charles de Prague, trouvée dans un très vieux Larousse, que je feuilletais, enfant, décida de ma vie d'écrivain. La photo de Molinier, je ne la connaissais pas; elle m'a d'abord embêté, très embêté. J'ai laissé le dossier relatif au photographe reposer dans un tiroir. Je l'ai repris dans l'urgence, encore qu'apaisé... La Grande Mêlée date de 1968. L'artiste avait soixante-huit ans, moi dix-huit. Je ruais dans les brancards; envie que les femmes soient mes amantes, mes soeurs, mes égales; les hommes aussi bien sûr. Alors j'aurais craché sur cette débauche de corps sublimes affublés de têtes de mannequin en cire. Il m'est resté un peu de l'insolence de jadis; mais j'ai appris à être plus patient, à regarder le monde comme un tout où le noir et le blanc sont à la fois des angles d'attaque et des compléments. Ici, les dentelles, jarretelles et autres voiles semblent masquer - ou protéger ? - un accouplement. Là où un conformisme ancien - sous prétexte de grand chambardement - eût pointé son doigt vengeur, s'est substitué un regard plus ouvert. Retour aux sources ? Mêlée sans doute, puisque c'en est l'intitulé: arrangée en double ceinture, dans un cercle - figure archétypale de la protection, ou, comme disait Jung, symbole du Soi. "C'est par la force des images que, par la suite des temps, pourraient s'accomplir les «vraies» révolutions", écrivait André Breton. Chiche ! Que lui eût inspiré la photographie de Molinier ?

Daniel Cohen

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