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COURCELLE, Bruno. "Pierre Molinier méritait mieux !", BIS (Bulletin Infos Sciences), Université Bordeaux 1, Bordeaux, novembre-décembre 2005, No. 7, p. 12

Pour qui connaît l'œuvre de Pierre Molinier, l'affiche de l'exposition "Pierre Molinier, jeux de miroirs" est déjà suspecte. Trop colorée, trop aguichante.

L'exposition se déroule sur trois niveaux : le mieux est de traverser très vite la salle du rez-de-chaussée et d'aller voir sans attendre les (trop rares) toiles, les (trop rares) dessins, et la collection de photomontages qui constitue l'essentiel de l'exposition. On y verra les œuvres publiées dans le recueil "Le chaman et ses créatures", les clichés qui en sont la base, leurs états intermédiaires, deux pages d'une lettre d'Emmanuelle Arsan, et d'autres documents. C'est tout à fait passionnant. On peut y rester des heures, à imaginer le travail artisanal de Pierre Molinier qui ne disposait pas d'un laboratoire perfectionné. On y oubliera le terme de "fétichiste" qui revient à chaque page du catalogue. P. Molinier y révèle son jardin secret, et ses savantes compositions florales construites avec des jambes gainées de soie noire ou de résille, des visages voilés et de la chair nue. On découvrira son humour : la blancheur d'une paire de fesses posée en équilibre instable sur une savante construction de jambes entremêlées, et l'utilisation du chapeau "haute forme", pour ne prendre que deux exemples. Le petit format de ses œuvres tout comme leur contenu invitent à les contempler dans l'intimité (comme des estampes japonaises bien entendu). Elles n'ont pas vocation à être placardées sur les murs pour faire vendre du parfum.

Contrairement à celles des deux autres salles qui présentent des œuvres d'artistes réputés proches et de prétendus continuateurs. A côté de Man Ray, Marcel Duchamp, Robert Mapplethorpe, chichement représentés, quelle froideur, quelle prétention, quel vide ! Le choix est complaisant, et même provincial, comme si Molinier devenait un prétexte à faire attribuer des subventions à de médiocres "artistes" du Sud-Ouest !

Quel contraste avec le travail de Molinier. La surface des toiles et des photographies exposées dans ces deux salles est inversement proportionnelle à l'intérêt du contenu. Rendre "hommage à Molinier" sert de prétexte à d'affligeantes productions, dont le vide abyssal et la vulgarité éclatent à être exposées à côté de celles dont elles prétendent s'inspirer.

Ces prétendues œuvres d'art tentent d'exister grâce la béquille du discours militant, féministe ou "queer". Elles se flattent de "déconstruire" (je n'ai jamais compris ce que cela voulait dire), de relever du "camp" (vous trouverez la définition dans le guide de l'exposition et vous pourrez en le feuilletant vérifier la pertinence de mes critiques). Quoi de plus absurde que d'imaginer Molinier en chef de file d'un mouvement, en maître d'une chapelle, en initiateur de revendications communautaristes ?

Exposer d'autres œuvres à côté de celles de Molinier était une excellente idée. Mais il aurait fallu exposer Hans Bellmer et Henri Maccheroni (pour ses "Vanités" et ses "2000 photos du sexe d'une femme"). La comparaison aurait été passionnante. Molinier y aurait trouvé sa place parmi les plus grands, alors qu'à Bordeaux, on le noie au milieu des médiocres.

Pourquoi ces choix d'exposition ? (J'indique au passage qu'un autre projet autrement intéressant a été refusé par la municipalité). Quel peut être l'effet auprès du public d'une exposition conçue de cette façon ? C'est tout simplement d'anesthésier la force de l'œuvre de Molinier en l'associant à la médiocrité contemporaine. Son "Grand Combat" avait été censuré à Bordeaux en 1951. La forme moderne de la censure est la dissolution dans la vulgarité et dans la mièvrerie, androgyne et commerciale chère aux coiffeurs.

Bruno Courcelle

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