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MARULL, Mélodie. "Pratiques sexuelles et corps imaginaires dans l’œuvre de Pierre Molinier : l’auto-érotisme comme re présentation de soi", Voix plurielles, Association des professeur-e-s de français des universités et collèges canadiens, 2018, 15 (2), pp.104-105 [Extrait] |
[...] Pour Molinier, le corps se fait malléable et versatile, et les déconstructions et reconstructions corporelles successives, motivées par la quête d' un corps androgyne, affirment l'opposition de l'artiste à l'idée d'une binarité des identités de genre, strictement divisées entre masculin et féminin et n'admettant l'existence d'aucun en-dehors.
Au-delà de l'image érotique traditionnelle, la charge queer notoire des dédoublements photographiques de Molinier réside dans cette fluidité de l'identité et de la sexualité. Molinier fait fi des conventions sociales comme des contraintes morphologiques et s'affranchit d'une sexualité hétéronormative. Egocentrées, focalisées sur ses fétichismes, les pratiques sexuelles et leurs représentations dans l'œuvre de Molinier fonctionnent avant tout grâce à la grande indocilité de l'artiste. Celui-ci navigue entre différentes identités sans jamais se fixer nettement. Les autoportraits où il fait intervenir l'artifice permettent alors la mise en exergue d'une réalité alternative, mais néanmoins fondamentale, une forme d'authenticité dans la mascarade, Molinier ayant fait de cette dernière l'outil principal de sa construction.
Comme la peinture, le photomontage permet à Molinier la représentation de pratiques auto-érotiques. Nous avons vu que l'expérimentation de cette technique lui offre la possibilité de s'éloigner des anatomies réelles pour créer ses propres chimères, accordées à ses fantasmes fétichistes. Son travail photographique correspond à ce que lui-même définit comme l'Art magique. En 1955, il répond à un questionnaire d'André Breton sur les formes de l'Art magique. Sa réponse sera également publiée en 1969 parmi les premières pages d'un ouvrage rétrospectif sur sa peinture : « L'art magique : effet qui, par métamorphose, devient cause. [...] Magie n'est pas fiction, mais liaison étroite de réalités multiples » ( Molinier , 16-17).
L'œuvre de Molinier s'articule comme un mouvement vers son idéal androgyne, mutant et instable. Dans cette visée, elle est une succession de débordements des corps en dehors de leurs formes initiales. Les chimères photographiques de Molinier donnent à voir une suite de reconfigurations de l'image du corps dont la factualité est mise en péril par le photomontage et par une multiplicité de transformations corporelles. Les photographies de Molinier apparaissent aussi provocantes que profondes en témoignant de la mise à nu de l'artiste et de l'expression de son intériorité. Les rapports intimes qu'il entretient avec ses modèles et son désir d'assimilation à ces dernier·ère·s, sont exprimés métaphoriquement dans le processus du photomontage. Les images obtenues brouillent la frontière entre représentation de soi et représentation de l'autre par la fusion que Molinier effectue entre son propre corps et celui de ses modèles. C'est un corps résolument subversif qui s'offre ainsi au regard du spectateur. [...]
Mélodie Marull