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MAUGARD, Francis. "Tombeau de Pierre Molinier", Jour de lettres, Pleine Page éditeur, Bordeaux, No. 19, avril-mai 1997, p. 10, 1 ill. |
La soie de jambes-élytres annonçait un envol aux vieux quartiers, tandis qu'éclataient les plumes de nuits et d'extases. Là, bruissait le coeur de Pierre en ses défis et patiences. D'étranges vénérations l'habitaient.
Eclectique à vif dans son univers balayé de cire et d'encens qu'éploie le souffle de serments, la fidélité le liait. Pour lui, des reines de plénitude tendaient leurs inclinantes clartés de cuisses. Le soir sonnant, sa voix de brume les accueillait. Une lassitude de migrateur s'y lisait, parfois, qu'évaporait toujours la transe finale de la beauté.
Il adorait les collines, et fuyait l'océan.
Dans l'élan de déréliction transfigurée, il se terrait souvent afin de clore son génie dans la transparence charnelle de sa peinture.
Il fut exact, et adulé par ses amis secrets. Lentement, enfin, des gloires envahirent son dème risqué dans notre temps.
Il aimait contempler, sans les peindre, l'embrassement d'anémones et de roses...
Sous l'agile invention solaire de ses glacis, le long de ses nus et trophées, tremble un lac obscur.
Il allait, attentif à l'ivoire des corps. Sa cruciale exhaustion d'amants emmêlés incarnait son intime exigence d'Absolu.
Dans une convalescence des forêts, nous le chérîmes tant de jours. Là, d'une chaise longue, il lui fallait encore frôler les opimes attributs de ses délires: le velours de femmes fardées d'été.
Son furieux empyrée, d'accueil demeurait cette salle fanée et ordorante où chevauchaient tableaux, talons, photos et musc.
Les ans grandiront sa fière image de pontife offert au miroitement de brisées surhumaines.
Le soir, quand l'astre délaissera la rue des Faussets, son havre, l'on croira retrouver son éclatant rire sarcastique de vieil agnostique, et la lune tournera les pages du Balzac qu'il aimait.
Là-bas, du côté de l'illimité, s'apprêtent au chant ses pieux thuriféraires, ceux qui le veillent dans son écrin vécu, exsangue et transcendant.
O suc d'opopanax déliant toute misère, plane, infiniment, sur son abyssal front ruiné !
Munificent de sa science picturale, il le fut de son être aussi, imprimant sa semence à son oeuvre.
Il fut sobre, et fidèle impitoyablement. Son épopée de diaphanes fusions balaiera les jardins à venir.
Abstème donc, il le demeura pour une ivresse plus haute, authentiquement chtonienne.
L'extase sensuelle fut pour lui l'embrasure vers l'origine et la finalité de l'Un.
Au coeur même de l'art, devant l'opus incertum des rivalités, il souriait. La haute tradition de l'oeuvre patiente, accomplie, fut sa route élue. Elle laisse les reposoirs peints de ses passions.
Son idée de la beauté rejoint celle de la lumière.
Francis Maugard