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PARET, Pierre. "La disparition du peintre Pierre Molinier", Sud-Ouest, Bordeaux, 5 mars 1976, p.18

Pierre Molinier, qui s'est suicidé mercredi, à Bordeaux, aurait été choqué si l'on avait parlé de sa disparition avec ces mots voilés et solennels qui sont d'usage en pareil cas. Il détestait l'eau bénite, la pompe et l'hypocrisie. Aux encensements traditionnels, il aurait préféré la rude franchise d'un ami parlant de lui en ces termes bruts et fortement épicés, par lesquels l'argot permet au langage de se renouveler.

Un chiffon de papier piqué sur la porte et, sur ce papier, deux lignes: "d.c.d., 19h30. Pour la clé, s'adresser chez le notaire". Ainsi, Pierre Molinier paraphait le dernier acte de sa vie par une phrase dans laquelle les gens ordinaires ne verront qu'une bravade presque d'outre-tombe, ou, plus banalement, l'ultime fanfaronnade de ce qu'on appelle communément un original.

La vérité est évidemment différente.

- Il est mort comme Montherlant, disait André Maubé, qui avait raison.

Pour nous qui l'avons connu, cette façon de prendre congé en se tirant une balle dans le crâne, alors qu'il savait la maladie trop ancrée en lui pour lui permettre de poursuivre son oeuvre est, n'en déplaise aux moralistes, un acte de grandeur. Cette maladie s'était soudain aggravée à la suite de la mort brutale de son fils, tué l'été dernier par l'explosion d'une charge de dynamite, alors qu'il aménageait une piste de karting.

La fin soudaine de Pierre Molinier, né le Vendredi Saint de 1900, n'aura qu'à moitié surpris ses amis auxquels il ne cachait pas que ses douleurs devenaient intolérables et à qui il montrait complaisamment le revolver de sa collection qui ne le quittait plus. Mais chacun connaissait son côté exhibitionniste. On ne le croyait pas. On avait tort.

Avec Pierre Molinier, c'est, Masson excepté, le dernier grand peintre surréaliste français qui disparaît. On avait encore pu voir une sélection de ses oeuvres, à Bordeaux, voici deux ans, lors de l'exposition consacrée au surréalisme. Il y figurait aux côtés de Max Ernst, Delvaux, Picasso, Magritte, le Dali du début, Picabia, d'autres encore, et ses "belles dames dévorantes", comme les appelait André Breton qui lui avait d'ailleurs consacré un ouvrage, avaient premis à ceux qui connaissaient mal son art de découvrir sur la toile cette "liberté de dire extraordinaire" que le même Breton admirait dans ses poèmes. Car Molinier était aussi un poète.

On éprouve un malaise à la pensée que cet être exceptionnel à tous points de vue, a déserté cette planète qui, d'ailleurs, ne lui avait pas toujours très bien réussi, et que le temps est maintenant venu de penser à mettre sur pied la première rétrospective de ses oeuvres.

Pierre Paret

 
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