MOLINIER - INFOS
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Vous pouvez voir le photomontage La grande mêlée à l'adresse suivante: www.bartschi.ch/Pm/Pm_page43.html
 
PETIT, Pierre. " "La grande mêlée: chef-d'oeuvre et Grand Oeuvre", in: La grande mêlée, Strasbourg: In Extremis, Décembre 2001, Vol. 2, 2 p.

A partir de moyens rudimentaires (un vieil appareil photographique, un lavabo, une corde à linge, une paire de ciseaux), Molinier réalise avec son photomontage La grande mêlée une prouesse technique et une transmutation esthétique. Sans aucun doute, il donne ainsi son cliché photographique le plus accompli, son chef-d'oeuvre, au sens compagnonnique; mais d'un compagnonnage très particulier auquel se mêlent des relents sataniques et provocateurs. En toute logique, il le place à la fin de la série des photomontages proprement dits de son album Le chaman et ses créatures.

Au contraire de son tableau charnière de 1951, Le grand combat, et malgré la similitude apparente des titres, il n'y a pas ici de joute amoureuse. Le propos est différent: l'esthétisme l'emporte sur l'érotisme, le collectif sur l'individuel. Le titre de ce cliché parle de lui-même. On distingue neuf visages: sept de la poupée, celui de Jean-Pierre (un jeune homme de ses amis, dont on retrouve, au centre, les jambes caractéristiques, qui ont servi à d'autres clichés, avec leurs chaussettes noires) et celui de Janine, sa femme de l'époque. Pour le reste, il s'agit d'un pot-pourri d'une trentaine de jambes, appartenant à Molinier. Double multiplié, il satisfait sa passion de l'androgyne. La structure générale ne laisse rien au hasard: en bas, les jambes fournissent au cliché son assise terrestre; en haut, le bouquet de jambes suggère une élévation (titre du cliché No. 24, à l'inspiration assez semblable) qui est d'ordre surnaturel; au centre, une barre horizontale, composée de fesses illuminées attire l'oeil du voyeur et aiguise l'appétit du fétichiste.

Une main vampirique griffe la cuisse mâle: il y a du sabbat dans cette image élaborée, d'autant plus que la main griffue placée au coeur du montage évoque la présence du Diable. C'est une ronde de sorcières, dans ce que la femme a, pour Molinier, de plus emblématique: les jambes, qui composent une rosace blasphématoire, un cercle magique. Car on sait que Molinier ne négligeait pas, à l'occasion, lorsqu'il peignait, de s'entourer, au sol, d'une corde.

Faut-il voir dans ce cercle une forme du mandala tibétain ? Molinier avait été fort impressionné par la visite (présumée) d'envoyés du Dalaï-Lama: son inspiration avait alors glissé vers l'ésotérisme. Aussi retrouve-t-on dans beaucoup de ses photomontages des réminiscences asiatiques: ici, les auréoles de gloire, habituelles dans l'imagerie tantrique, englobent la totalité du sujet et réapparaissent, en minuscules pointes d'amande, au bord des dessins de dentelles. Quant à la composition d'ensemble, elle rappelle bien celle du mandala: en subtils dégradés, deux carrés enferment deux cercles, dont l'intensité lumineuse augmente au fur et à mesure que l'on progresse vers le centre. Fondamentalement, le mandala est une représentation cosmologique qui organise l'univers dans une dialectique de désintégration et de reconstruction. Celui que Molinier propose ici fait appel à l'univers de ses propres fantasmes: sa divinité s'appelle Androgyne, dont le corps, dépecé puis reconstitué, parodie Shiva dansant, en une roue aux innombrables jambes. Comme dans le manadala, l'initié reçoit une invitation au voyage extérieur puis intérieur, à une promenade de l'oeil et de l'esprit dans la Roue du monde. Et le monde de Molinier, c'est lui-même. De plus, le manadala se veut oeuf primaire, matrice originelle: Molinier le souligne en enchassant sa mêlée de corps, monstre multiforme, dans une bulle placentaire, comme on le retrouve dans d'autres clichés de sa main. Par sa référence à l'art tibétain, il replace discrètement ce photomontage dans le grand dessein chamanique de son album.

Enfin, Molinier, alchimiste de son anatomie comme de sa photographie, produit avec La grande mêlée son Grand Oeuvre. Dans la cornue de son art, passant de l'Un au Multiple, il transfigure le vil des corps démembrés en l'or des corps recomposés, pour réaliser ainsi l'ultime union des contraires qui luttent en lui, homme et femme, noir et blanc.

Pierre Petit

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