J'ai regardé trois fois cette oeuvre de Pierre Molinier.

A vingt ans, plein d'énergie, je suis échauffé par l'accumulation des emblèmes érotiques, talons aiguilles, bas noirs, porte-jarretelles, offrandes des cuisses, anus ouvert, tailles cambrées, dentelles, voilettes, visages laqués. Je vois un gang de séductrices sur une vignette pornographique.

A trente ans, ayant lu quelques livres, j'apprends que l'artiste a posé lui-même, déguisé en femme, pour construire sa photo. J'éprouve le sentiment d'une petite trahison, mais j'admets la recherche artistique, j'entends le commentaire sur l'illusion du désir, sur le travesti et l'ambiguïté. Une image moins excitante, mais plus sophistiquée, se forme devant moi: une oeuvre surréaliste.

Aujourd'hui, replacé devant "La grande mêlée", je songe à l'homme qui a façonné cette image, je mesure à quel point il a dû être seul. Il a inventé une femme, il l'a mimée devant le miroir, faute sans doute d'avoir rencontré la véritable incarnation de son désir. Je vois une tentative désespérée de clonage, une boucle fermée sur soi-même, l'autoportrait d'un homme qui cache sa peine derrière le masque peint ou derrière la jambe gainée d'une poupée faite de sa propre chair.

Patrick Ravella

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