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RUBRIQUE : MON MOLINIER
 
DJURIC, Yanitza

Molinier, ou les légères transgressions

Pourquoi écrire aujourd’hui autour de l’œuvre de Pierre Molinier, alors que cette œuvre, justement, n’est pas susceptible d’être commentée, ou alors très incomplètement ?

Je ne prétends pas apporter ici un éclairage nouveau au parcours artistique et photographique de Molinier.

Ce dernier, dont la vie et la mort se sont confondues en une fiction étrange, exerce cependant depuis longtemps sur moi une fascination puissante et tout à fait assumée. Jamais, je crois, en effet, l’obscénité ne s’est présentée d’aussi facétieuse manière à mes yeux, dans un parcours artistique, sans pour autant que la puissance mortifère l’accompagnant n’en soit diminuée. C’est cette jubilation dans la transgression que je trouve remarquable.

Aussi, ces lignes représentent avant tout une manière d’adresse respectueuse à « l’Insoumis bordelais ».

Que semble nous intimer Molinier par le médium qu’il s’est choisi, sa propre enveloppe corporelle (celle de comparses insolites, également) scénarisée jusqu’au dédoublement cinétique, parfois ? Regardez si vous l’osez et tant pis pour vous !

Découverte du « corps » de l’œuvre, à travers un dévoilement très savant d’une chair tronquée, qui jaillit, étrangement blanche, d’un corset ou d’un bas. Primordial, l’accessoire, ici, qui raconte une chair qui ne se livre qu’à demi, enserre jusqu’au bondage, parfois, fugitive, palpitante, jamais complètement offerte ou alors, de manière incongrue, par accident. Je crois que peu d’artistes peuvent se targuer, comme Pierre Molinier, d’avoir réussi à personnifier le corps de cette manière : comme une présence charnelle immédiatement soustraite à notre regard après le choc rétinien premier. Chair de passage, malicieusement perverse, farceuse. Oui. Prisonnière qui ordonne, pourtant, puisque l’outrage suprême de l’artiste est dans la scénarisation de son ellipse qui devient Jeu. Je.

J’aime, comme je la crains, chez Molinier, cette absence de tout « fluide », cette netteté dans la Noirceur. L’épure dans l’obscénité. L’insolence bienveNue.

Corps sujet, rébus d’un plaisir : comment l’écrire ? On va, ici, accidenter, à dessein, les mots, les corrompre, avant qu’ils ne le soient eux-mêmes par le Sujet (et quand bien même…).

Peut-on érotiser la phrase, la fragmenter de sorte qu’elle ne devienne que l’instantané de la sensation, et rien d’autre ?

Je me souviens, car c’était hier, ou plutôt, je ne me souviens pas, je vois à nouveau…

Il y eut la « Religieuse aux bas de soie » de Trouille : frère de sang, farceur. Il y eut les fleurs de chair de Bellmer aux pétales interdits, l’abandon christique d’un Journiac s’exposant tranquillement (trop) sur son lit de presque mort. Puis il y eut la jambe de Molinier. Je fis sa connaissance lors d’une exposition à Beaubourg à la fin des années 1970. Pourquoi me souviens-je encore que cette rencontre eut lieu de Nuit ?
Peut-être parce que l’œuvre de Molinier nie le monde diurne. Le seul éclairage consenti sera la chair dans son opalescence dangereuse.

Fantômas lubrique, saisissant par son accessoire priapique qui déniaise aussitôt ce que nous pensions voir : une «  simple » créature née de la nuit. Mais la nuit est « autre » chez Molinier.

Tenter maintenant de dérégler l’organigramme de la phrase. Va-t-on enfin l’apprivoiser ou bien restera-t-on à ce stade stérile et frustrant de la tentative ? Affronter à nouveau l’obstacle, peut-être en racontant enfin ce que mes yeux burent littéralement un soir, ou le choc primal de cette jambe en relief, gainée d’un bas rose pâle et chaussée d’un escarpin à l’impérieux talon. Que dire (blanc) d’autre ? Que c’est l’exacerbation d’une féminité pleine et assumée, violente, et, je le pressentis, aussitôt, intensément dangereuse, que je rencontrai, dans l’anonymat devenu trouble d’un musée.

Chair sculptée plutôt que sculpture de chair. L’enfant encore en moi éprouva l’envie incongrue de croquer un morceau de cette meringue de cire offerte « vénéneusement » à mon regard.

Histoires et farces noires. Chorégraphies cinétiques, « actées » par des jambes dont on pressent qu’elles annoncent le danger. Ces jambes, anonymement érotiques, antichambres de chairs nerveuses qui disent le précipice délicieux.

La peau. « La Peau » de Malaparte.

J’ai, obstinément gravé en moi, ce passage d’une crudité elliptique dans lequel l’auteur italien évoque un simulacre de séduction des prostituées napolitaines, lesquelles ouvrent et referment rapidement leurs jambes telles des « pattes de crabe » sur l’animal prêt à mordre qu’elles referment en elles.

Et le dernier râle aura le goût du fer…

Septembre 2010

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